Et puis on dirait que...
" On pourrait presque..." : c'est bon la vie au conditionnel. "
Philippe Delerm
Partout et depuis longtemps, les bouches sont pleines de "Si" pour tenter d'apaiser les esprits et les vides à combler, des "Si" multidimensionnels qui se juxtaposent... et qui contribuent à désavouer le présent pour lui préférer l'emploi d'un conditionnel toujours envisagé comme supérieurement rassurant et apaisant...
Il y a les "Si...", plein de grandeur, d'espoir et d'utopie pour inventer des rêves de vie et des vies de rêve, dans un monde qu'on taillerait enfin à nos mesures...
" Ah, si la mer était rouge, tous les couchers de soleil flamboieraient à son contact..."
" Ah, si la vie était plus juste, on ne se plaindrait jamais..."
" Ah, si la semaine des quatre jeudis tombait en même temps que la Saint Glin-Glin, qu'est-ce qu'on s'éclaterait !..."
Il y a les "Si j'étais...", qui nous autorisent à modifier nos reflets pour nous aider à fantasmer des quotidiens où tout pourrait être différent...
" Ah, si j'étais plus jeune, je referais le monde..."
" Ah, si j'étais Dieu, j'aurais les moyens de faire de la terre un paradis..."
" Ah, si j'étais moins lucide, je croirais qu'avec des "si", on peut tout changer..."
Il y a les "Si j'avais...", plein de désirs de pouvoir et de possession qui ne s'embarrassent d'aucune condition spatio temporelle ni méritoire pour obtenir ce que nous pensons nous être dû...
" Ah, si j'avais le pouvoir des mots que je prononce, toute la grammaire de l'univers serait une toute autre affaire..."
" Ah, si j'avais tout l'argent que je désire, je pourrais acheter des machines à fabriquer les billets..."
" Ah, si j'avais une cigarette sous la main, je l'allumerais tout de suite..."
Et il y a aussi les "Si j'avais su..." pour fermer la marche d'une suite d'énumérations qui auraient pu, à nous en croire, changer la face de notre monde... sorte de baume à l'arnica qu'on pommade sur les blessures et les cicatrices de nos illusions, de nos erreurs ou de notre conscience...
Mais si l'on veut être honnête, on connait souvent intuitivement les conséquences de nombreux "si j'avais su..." ultérieurs que l'on formule, simplement... on ne les prend pas, au moment où il serait opportun de le faire, pour des hypothèses plausibles, formulables, probables et/ou possibles...
Et puis le fait de ne pas savoir, dans la plupart des cas, n'excuse ni n'annule la responsabilité de l'action...
Beaucoup de " Si " imaginent, revendiquent ou déplorent une sorte de paradis perdu, et tombent plus sous le coup d'une longue lamentation irresponsable, que sous celui d'un élan courageux et constructif pour inventer délibérément un monde meilleur...
Le conditionnel ne mériterait-t-il pas qu'on en fasse meilleur usage ?...
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